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Des barrières et des ponts : repenser le commerce au sein de la fédération

Le libre échange canadien : une perspective québécoise

Philippe Couillard
par Philippe Couillard 22 octobre 2025

Introduction

La levée des barrières au commerce interprovincial semble, sur papier du moins, relativement simple. En effet, le commerce intérieur canadien a une telle valeur économique (plus de 400 milliards de dollars) qu’il doit être libéré de ses entraves de façon à générer plus de croissance. Outre l’impact économique de ces barrières, celles-ci génèrent des situations absurdes où une entreprise québécoise peut avoir, par exemple, plus de difficulté à exporter en Ontario qu’aux États-Unis. Il n’y a pas mille solutions, se dit-on, il suffit d’abolir toutes ces entraves, de récolter les retombées d’un véritable libre-échange intérieur… et voilà le problème réglé!

Bien sûr, rien n’est jamais aussi simple qu’il n’y paraît et le commerce intérieur canadien ne fait pas exception. Au-delà du caractère chiffrable de l’enjeu, il faut toujours rappeler son aspect très politique, donc marqué par l’incertitude et des considérations aussi légitimes que la simple arithmétique. La politique est l’art du possible, disait Bismarck. Or, ce sont des humains qui distinguent ce qui est possible de ce qui ne l’est pas et cette distinction change selon le temps, les lieux et les personnes concernées.

Au regard de la taille et la diversité de son économie, le Québec est vu comme réticent à la levée des barrières au commerce intérieur, malgré la richesse de ses échanges avec les autres provinces, notamment l’Ontario. Comme l’Accord de libre-échange canadien (ALEC) de 2017 a été bâti selon le modèle des ententes internationales conclues récemment par le Canada, les exemptions sont des exceptions visibles devant être justifiées auprès des partenaires fédératifs et de l’opinion publique (à tout le moins auprès du faible pourcentage de celle-ci s’intéressant à ce sujet quelque peu hermétique). Ces exemptions sont-elles toutes injustifiées ? Tentons d’y voir plus clair en explorant l’accord de 2017 et le cas spécifique du Québec, les aspects plus généraux de la question ayant été amplement traités ailleurs.

L’expérience de 2017

Du début à la fin des deux années menant à la signature de l’entente en 2017 et sous l’impulsion de la conférence des ministres délégués au commerce intérieur tenue en marge du conseil de la fédération de 2016 à Whitehorse au Yukon, l’enthousiasme et l’optimisme étaient au rendez-vous. Les barrières allaient être aplanies et un véritable libre-échange canadien serait instauré. Le gouvernement fédéral était présent et actif, une condition indispensable à la réussite du projet. En effet, alors que les provinces sont en général pointées du doigt (c’est encore le cas), peu savent que le gouvernement fédéral lui-même est à l’origine de plusieurs obstacles par l’intermédiaire de ses ministères, de ses organismes, de ses sociétés de la Couronne de ses règles d’approvisionnement et de ses initiatives de développement régional. Après la signature de l’entente de 2017, celle-ci fut progressivement intégrée au cadre légal et réglementaire du gouvernement fédéral, ses obligations clarifiées et sa représentation assurée au comité sur le commerce intérieur. Depuis cette date, la totalité des barrières relevant du domaine d’application fédéral ont été abolies, notamment par l’adoption du projet de loi C-5 en juin 2025. Ce fut certes un progrès notable, les barrières interprovinciales restant cependant à aplanir.

Alors que les signataires de 2017 étaient convaincus qu’un progrès important avait été réalisé (ce qui, objectivement, fut le cas), il est clair que ce ne fut pas suffisant et que l’exercice doit maintenant être repris et approfondi.

Avant l’ALEC, plus de 300 exemptions existaient. Il en demeure aujourd’hui environ 100 à 120 (le nombre varie pour certaines provinces). Les provinces qui en ont le plus grand nombre sont le Québec (36) et le Nouveau-Brunswick (17). La tâche à accomplir n’est donc pas si « immense » que l’on pense. Il est raisonnable de penser qu’après les prochaines vagues de révision, les projets de loi déposés dans plusieurs provinces (dont le Québec) et le travail continu des instances fédérales-provinciales, il n’en restera qu’un très petit nombre. Celles-ci seront particulièrement difficiles à régler, car portant sur des enjeux politiquement délicats et objectivement nécessaires pour les provinces et l’exercice de leurs prérogatives.

Un suivi et une vigilance constante s’imposent. Ainsi, alors que le Québec avait conclu et annoncé une entente sur la disponibilité transfrontalière des alcools avec la Nouvelle-Écosse et la Colombie-Britannique, force est de constater que celle-ci a eu peu de suite. Ceci témoigne d’un manque relatif de volonté politique et du degré d’inertie des organismes responsables. Le dépôt ou l’adoption de nouvelles législations (dont le projet de loi 112 au Québec) pourra, espérons-le, raffermir les volontés.

Le cadre fédéral canadien et le Québec

Le lecteur ou la lectrice ne sera pas surpris par l’attachement de l’auteur de ces lignes au fédéralisme canadien, fondement de son engagement politique. Cette préférence n’est pas un automatisme résultant de l’acceptation aveugle du statu quo. Il provient de la conviction profonde que le Québec y trouve un modèle de gouvernance qui lui convient et qui assure son développement. Le fédéralisme est la façon la plus moderne de faire coexister des peuples différents en mettant en commun des vues, des intérêts divers, tout en respectant les différences qui créent une saine émulation entre les provinces. Cette vision d’une citoyenneté basée sur la mise en commun et le partage est au moins aussi porteuse que bien d’autres. Mais le Québec, même en agissant pour maintenir le Canada uni, n’a jamais endossé le concept d’un état unitaire. Le fédéralisme canadien est par nature asymétrique et doit le rester. Ainsi, il est souhaitable que cette asymétrie s’étende à divers domaines tels que la santé et aussi au commerce intérieur. Dans ce dernier cas, la mise en place par les provinces en 2017 des exemptions différentes en nombre et en nature le confirme.

L’économie canadienne est vaste et complexe, chaque région ayant une réalité économique distincte qui ne saurait être ignorée. Compte tenu de la nature même du Québec, on ne devrait donc pas être surpris d’y trouver un plus grand nombre d’exemptions et on peut même considérer que c’est naturel, voire souhaitable. Encore faut-il que ces exemptions reposent sur des arguments solides, plutôt que sur le seul désir de préserver certaines façons de faire pour le simple fait de les protéger ou sur un recours exagéré aux arguments identitaires lorsqu’on pourrait difficilement affirmer en toute franchise que ceux-ci s’appliquent.

Nature des exemptions du Québec

On peut retrouver la liste de ces 36 exemptions (reproduite en annexe) sur le site Web de l’ALEC (2017). Avant d’en discuter la nature, il faut préciser que le Québec, comme d’autres provinces, a déposé des textes législatifs sur la question. Le gouvernement du Québec a récemment indiqué son intention d’abolir cinq exemptions après l’adoption du projet de loi et des règlements pertinents (Crête, 2025) :

  1. Obligation de résidence pour les directeurs d’entreprises de services funéraires
  2. Obligation d’avoir un bureau au Québec pour les courtiers immobiliers
  3. Obligation de résider au Québec pour les propriétaires de chevaux de course
  4. Obligation de résidence pour les membres du conseil d’administration de la ­Société des traversiers du Québec
  5. Explosifs : suppression de plusieurs paramètres provinciaux concernant l’usage, la vente, le transport, la livraison, la conservation et la destruction de ceux-ci.

Il s’agit certes d’un progrès, quoique bien relatif. Ces progrès et la nature relativement bénigne sur le plan politique de ces cinq mesures rappellent surtout que les secteurs économiques majeurs ne sont pas encore touchés. Comme c’est souvent le cas, les enjeux plus délicats seront abordés ultérieurement. Néanmoins, le PL 112 (déposé en mai 2025) est un pas de plus dans la bonne direction. Il concerne deux domaines du commerce intérieur : la reconnaissance mutuelle des produits et la mobilité interprovinciale des travailleurs par la reconnaissance mutuelle des licences et certifications professionnelles. Tel que discuté plus haut, il est naturel que le Québec ait mis en place un plus grand nombre d’exemptions que les autres provinces, compte tenu de son caractère distinct.Comme la liste ci-dessus des cinq exemptions levées en témoigne, il n’est cependant pas exact de dire que celles qui restent ont une importance égale pour le maintien et la promotion de ce caractère spécifique. Néanmoins, et ce sera le « nœud » des prochaines démarches, certaines ont une charge politique importante, notamment dans les régions du Québec où se décident la majorité des élections. Ainsi, la présence de nombreuses coopératives, les modes de gestion dans le domaine agricole ou forestier ont un lien étroit avec l’occupation du territoire dans son intégralité, lui-même expression géographique de l’identité québécoise. À mon sens, deux secteurs névralgiques sont à surveiller dans le cadre des discussions sur le commerce intérieur au Canada.

Deux secteurs névralgiques

D’une part, le cas de la gestion de l’offre mérite une attention particulière. Ce système vise à gérer la production des produits laitiers, des œufs et des volailles. L’objectif poursuivi est l’évitement d’une situation où le Québec serait le « déversoir » d’une surproduction américaine. Les plus petites exploitations (souvent familiales) se verraient alors menacer par de grandes productions « industrielles », un modèle de développement rural qui n’est pas le choix du Québec. Ce mode de gestion est fortement attaqué sur trois fronts : aux États-Unis, dans les régions canadiennes où l’industrie laitière est peu présente et par la voix de divers médias et organisations (surtout urbaines) prônant un libre marché non encadré sur la base de prix légèrement plus élevés au Canada.

Il faut toujours rappeler que les importations américaines, en deçà de seuils jamais atteints, ne sont soumises à aucun droit de douane. En fait, soutenir l’agriculture au moyen de politiques ou de fonds publics n’est pas unique au Canada : les États-Unis soutiennent massivement leur agriculture en utilisant des subventions publiques très importantes. Comme c’est souvent le cas, il faut bien distinguer les objectifs visés (éviter la surproduction, stabiliser les prix, préserver l’existence de petites exploitations dans les régions) des moyens utilisés. Ceux-ci doivent rester sujets à révision ou à amélioration sans dévier des résultats recherchés.

D’autre part, la grande majorité de la production canadienne d’aluminium provient du Québec, en raison de la quantité de son énergie hydroélectrique, de son coût relativement bas et de sa faible empreinte en carbone, un élément qui gagne en importance et pourrait éventuellement constituer un avantage compétitif. Il n’est donc pas surprenant de voir le Québec s’intéresser de très près à cet enjeu lors des négociations commerciales. En 2017, nos vis-à-vis américains avaient soulevé la question d’un mécanisme de « cheval de Troie » par lequel de l’aluminium de piètre qualité (notamment en provenance de la Chine) atteignait le marché américain après avoir été importé par le Canada. Ceci s’est avéré être une préoccupation légitime et a entraîné la mise en place de mesures correctives.

Les barrières liées à la langue et à la culture

Les dispositions visant à préserver et à promouvoir la langue et la culture françaises au Québec ont une importance majeure en s’étendant dans de nombreux domaines traités par des accords comme celui de 2017. Ainsi, on peut « décréter » l’équivalence de la certification professionnelle à travers le pays, mais dans la pratique, ça ne signifierait pas que tous les professionnels du reste du Canada réussiraient à travailler au Québec, car il leur faudra toujours se conformer à ces dispositions.

La nécessité des lois linguistiques et des politiques culturelles au Québec n’est pas remise en question par les autres gouvernements. Certes, elles constituent une barrière non tarifaire compte tenu du coût associé à la conformité légale et réglementaire. Cependant, plusieurs entreprises font déjà face à ce type de contrainte dans leurs activités internationales sans s’en formaliser outre mesure. Une entreprise désirant être active au Québec ne peut sérieusement penser s’y établir sans s’ajuster à sa clientèle et à ses employés qui s’attendent à pouvoir y travailler ou être servis en français. Ignorer cette évidence mène à un échec commercial programmé. Le défi est plus grand et l’adaptation plus onéreuse pour les entreprises de plus petite taille. La solution est simple : engager du personnel clé au Québec, y établir une filiale ou nouer des partenariats stratégiques. Bien sûr tout cela comporte des coûts, notamment celui de « faire des affaires » avec une chance raisonnable de succès.

Comme ce fut le cas en 2017, les enjeux les plus épineux toucheront les chaînes de valeur locales (notamment dans le domaine forestier et agroalimentaire) et les grandes sociétés d’État du Québec.

Hydro-Québec est un géant de l’économie québécoise, encore plus important depuis l’adoption de son nouveau plan stratégique qui prévoit des investissements de 155 à 185 milliards de dollars d’ici 2035. Les PME du Québec s’attendent à en bénéficier, notamment en région. Voir plusieurs de ces contrats attribués hors Québec causerait de l’insatisfaction et des tensions. Mais même si tous les efforts étaient déployés pour favoriser les retombées sur les économies locales, un tel volume d’investissements demandera forcément la mobilisation de capacités au-delà de nos frontières et offrira nécessairement des occasions favorables aux entreprises hors Québec. Et bien sûr, il faut se rappeler que si les entreprises des autres provinces ont accès à certains contrats au Québec, nombre de PME québécoises ont accès à ceux des autres provinces. C’est là le principe même d’un marché intérieur! Bref, il y aura de la place pour tous.

Après des années d’efforts déployés par tous les gouvernements précédents, l’entente récente entre le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador est une excellente nouvelle. Elle permet d’augmenter la production d’électricité au profit des deux provinces et renforce la position du Canada comme un des leaders mondiaux de l’énergie conventionnelle, nucléaire et, pour ce cas précis, dans le domaine névralgique de l’énergie renouvelable. La construction d’une ligne de transmission, pour laquelle le soutien financier du gouvernement fédéral a été demandé, est un prérequis nécessaire.

La Société des alcools du Québec (SAQ) est en situation de monopole pour la distribution et la vente au détail et s’est vu confier le mandat de soutenir le développement des producteurs du Québec, dont les produits gagnent en importance et en qualité. Eu égard à la relative nouveauté de cet écosystème de producteurs locaux, ce n’est pas cependant un secteur d’activité que l’on peut qualifier d’identitaire. Il y a donc là d’importants progrès à réaliser en matière d’accès réciproque aux marchés. Dans l’histoire récente, on ne peut passer sous silence l’affaire Comeau, résumée ci-dessous, qui a suscité bien des réactions et dont les conséquences possibles ne sont pas encore toutes connues :

En 2012, Gérard Comeau, un résident du Nouveau-Brunswick, se rend au Québec, y achète 354 caisses de bière, 2 bouteilles de spiritueux et les ramène au Québec. Intercepté, il écope d’une amende de 240 $ pour avoir importé de l’alcool d’une autre province. M. Comeau conteste cette décision en vertu de l’article 121 de la constitution canadienne, qui stipule que « [t]ous articles du crû, de la provenance ou manufacture d’aucune des provinces seront, à dater de l’union, admis en franchise dans chacune des autres provinces ». En apparence, rien de plus simple. Pourtant, la Cour suprême se prononce en 2018 sur la question et donne raison au gouvernement du Nouveau-Brunswick. La Cour indique que l’article 241 ne confère pas une liberté commerciale absolue et qu’un gouvernement peut légitimement imposer des barrières non tarifaires pour des raisons valables, même si elles ont un impact sur le commerce interprovincial. En réaction à cette décision (et maintenant à l’offensive tarifaire américaine) le gouvernement fédéral et plusieurs provinces ont déposé des projets de loi établissant clairement leur objectif de libéralisation. On peut donc prévoir de nouvelles escarmouches judiciaires, mais le contexte a maintenant bien changé depuis la lutte du gouvernement du Nouveau-Brunswick dans l’affaire Comeau.

L’industrie de la construction québécoise (qui est complexe et qui a un nombre plus élevé de métiers réglementés par rapport à nos voisins, notamment ontariens) est un autre secteur que le Québec protège jalousement. En conséquence, nos travailleurs ont assez facilement accès aux chantiers des autres provinces, mais pas l’inverse. Le PL 112 vise à aplanir ces différences, mais c’est un enjeu particulièrement délicat à aborder, compte tenu de son impact syndical. Améliorer cette situation devrait cependant être une priorité, malgré les défis. Nous sommes devant un autre dossier où il serait dommageable de ralentir pour des considérations identitaires.

En somme, il existe de nombreuses avenues de progrès. Mais on ne devrait pas s’attendre à des avancées immédiates et spectaculaires, particulièrement dans les exemples que nous venons de décrire. Le progrès continuera, de façon moins rapide qu’escompté.

L’impact de la levée des barrières

On a trop souvent tendance à attribuer une vertu très étendue à la levée des obstacles aux échanges interprovinciaux. Bien sûr, leur réduction en nombre et en impact est hautement souhaitable (il est peu probable que les exemptions soient abolies). Mais on ne devrait pas surestimer les bienfaits de cette réduction. Selon un rapport du Centre sur la productivité et la prospérité (CPP) de HEC Montréal, les entraves réglementaires jouent un rôle relativement mineur dans les décisions d’entreprises qui choisissent de ne pas participer au commerce interprovincial : des 8,6 % qui ne participent pas en raison de ces obstacles, moins de 1 % identifie la réglementation comme raison dominante (Deslauriers et al., 2025). Comme la distance entre les partenaires est identifiée comme un facteur plus important, on imagine mal comment des changements réglementaires pourraient la réduire… Comme c’est le cas pour l’économie canadienne dans son ensemble, c’est dans la faiblesse de notre productivité et de l’environnement concurrentiel qu’il faut davantage chercher les réponses. Cela étant, il ne faut pas non plus dorer la pilule : certains estiment que les barrières interprovinciales imposent une charge équivalente à un tarif de 25 % ou à une perte annuelle de 2 900 à 5 100 $ du PIB par habitant (Tombe et Manucha, 2022). Or, selon les chercheurs de HEC Montréal, ces estimations sont probablement exagérées. Mais dans ce domaine comme dans d’autres, il n’y a pas de petite économie ni de petits gains.

Perspectives

L’adoption future du PL 112 au Québec et l’élimination déjà annoncée de cinq exemptions dans des secteurs relativement mineurs auront peu d’impact réel, jusqu’à ce que des progrès notables soient observés dans des domaines plus « difficiles ». L’enjeu des alcools est celui qui pourrait être abordé en premier. Un succès en la matière pourrait servir de catalyseur pour les autres dossiers, nettement plus épineux. Le marché d’approvisionnement d’Hydro-Québec pourrait suivre, avec une forte garantie d’accès réciproque. En parallèle, certaines autres exemptions « mineures » pourraient alors être éliminées. La question du transport lourd, quoique complexe, devrait aussi progresser.

Mais ce serait une erreur de penser que la question du commerce intérieur canadien pourra être entièrement réglée dans un avenir proche. Pour les gouvernements provinciaux (tels que celui du Québec) qui feront face aux électeurs au cours des prochains mois, la prudence sera de mise : des concessions importantes dans des secteurs « sensibles » comme la foresterie, la construction, les coopératives (on pense à Desjardins) pourraient alors être électoralement coûteuses, particulièrement dans les régions.

On trouvera des atouts précieux dans la mise sur pied d’un groupe de négociations, avec une ou un négociateur en chef expérimenté et dans le renforcement des mécanismes de résolution des différends.

Nous voyons maintenant que la réticence à laisser tomber les barrières commerciales a plusieurs origines, dont la simple résistance au changement. Une préoccupation identitaire compréhensible, mais parfois exagérée compte tenu de la nature de certains sujets, ou confondue avec des enjeux commerciaux plus banals (commerce de l’alcool, construction, etc.), se trouve à la base de cette sensibilité. Mais il faut aussi regarder du côté des réactions contre l’uniformité souhaitée, qui va de paire, il faut le dire, avec un certain manque de confiance dans la capacité de nos entreprises à tirer leur épingle du jeu d’un océan à l’autre. Pourtant, les entreprises du Québec ont tout ce qu’il faut pour conquérir des marchés canadiens, comme elles l’ont fait sur la scène internationale. Confiance! Voilà le message à faire passer.


Annexe : liste abrégée des 36 exemptions du Québec

  1. Courtage immobilier — établissement obligatoire au Québec*
  2. Transport terrestre — exigences de résidence, permis, concession, quotas pour camionnage
  3. Transport maritime (traversiers) — administrateurs doivent être domiciliés au Québec
  4. Courses de chevaux — privilèges accordés uniquement aux résidents/chevaux de Québec*
  5. Acquisition de terres agricoles — autorisation obligatoire pour non‑résidents
  6. Pompes funèbres — résidence requise pour les directeurs (12 mois)*
  7. Coopératives — siège social et proportion d’opérations au Québec
  8. Transformation des produits marins — normes minimales de vente/production
  9. Chasse/piégeage/pêche récréative — permis réservés aux résidents
  10. Foresterie et sylviculture — transformation locale du bois
  11. Boissons alcooliques — SAQ, embouteillage au Québec, circuits limités
  12. Énergie et électricité — Hydro‑Québec et réseaux municipaux en monopole, exportation contrôlée
  13. Exportation d’électricité — contrats soumis à approbation gouvernementale
  14. Agences de voyages/guides — établissement obligatoire*
  15. Agences de recouvrement/sécurité privée/protection civile — établissement requis
  16. Permis d’instruction de conduite — exigences locales
  17. Licence de mariage — processus administratif spécifique

18 à 36. Autres exceptions diverses, couvrant notamment :

  • Marchés publics (Assemblée nationale, Hydro‑Québec, municipalités, SAQ, etc.)
  • Exigences en sécurité (permis civils/spéciaux)
  • Exigences dans la transformation du bois, culture (riz sauvage), produits chimiques, produits de la mer
  • Réglementation de services sociaux et infrastructure énergétique (gaz)

* exemptions levées en juillet 2025


RÉFÉRENCES

Accord de libre-échange canadien. (2017). L’Accord de libre-échange canadien. Gouvernement du Canada. https://www.cfta-alec.ca/fr

Crête, Mylène. (2025, 19 mars). Québec veut éliminer cinq exceptions au libre-échange canadien. La Presse. https://www.lapresse.ca/affaires/2025-03-19/commerce-interprovincial/quebec-veut-eliminer-cinq-exceptions-au-libre-echange-canadien.php

Deslauriers, Jonathan, Gagné, Robert et Paré, Jonathan. (2025). Productivité et prospérité au Québec. Bilan édition 2025. Centre sur la productivité et la prospérité – Fondation Walter J. Somers, HEC Montréal. https://cpp.hec.ca/productivite-et-prosperite-au-quebec-bilan-edition-2025/

Strategy Corp Inc. (2025, 14 avril). Tearing Down Internal Trade Barriers in Canada: It’s Harder than You Think. https://strategycorp.com/2025/04/tearing-down-internal-trade-barriers-in-canada-its-harder-than-you-think/

Tombe, Trevor et Manucha, Ryan. (2022). Liberalizing internal trade through mutual recognition: A ligal and economics analysis. Macdonald-Laurier Institute. https://www.trevortombe.com/publication/mli_trade/

Le Dr Philippe Couillard était premier ministre du Québec lors de la signature de l’Accord de libre-échange canadien (ALEC) en 2017. L’entente fut saluée par de nombreux acteurs économiques, mais elle est plus moins bien accueillie aujourd’hui à la lumière du protectionnisme américain. Dans une rare sortie publique depuis qu’il a quitté la politique, le Dr Couillard nous offre sa perspective sur le contexte entourant la signature de l’ALEC et sur les raisons entourant les exemptions québécoises au commerce interprovincial. L’auteur y rappelle qu’« on a trop souvent tendance à attribuer une vertu très étendue à la levée des obstacles aux échanges interprovinciaux ». Qui plus est, certaines exemptions permettent de protéger la langue française et certains des secteurs les plus névralgiques pour le Québec et sa main-d’œuvre. En ce sens, l’essai du Dr Couillard est à la fois une invitation à la nuance lorsque l’on aborde l’enjeu des exemptions au commerce interprovincial (particulièrement dans le cas du Québec), mais également une cartographie détaillée des actions qui doivent être prises au Québec pour encourager les entreprises locales à investir avec succès le marché canadien.

Cet essai fait partie de la série Des barrières et des ponts : repenser le commerce au sein de la fédération, publiée sous la direction de Valérie Lapointe par le Centre d’excellence sur la fédération canadienne. Étienne Tremblay a effectué la révision linguistique, Maxime Goldstyn s’est chargée de la correction d’épreuves, Chantal Létourneau a fait la mise en page et Anne Tremblay, la conception graphique.

Cet essai a été traduit en anglais et publié sur le site Web du Centre sous le titre The Canadian Free Trade Agreement: A Quebec Perspective.

Le Dr Philippe Couillard a été le 31e premier ministre du Québec. Il est devenu chef du Parti libéral du Québec en 2013 et a remporté un mandat majoritaire en 2014. Il a occupé le poste de premier ministre du Québec de 2014 à 2018. Depuis qu’il a quitté la politique, il est administrateur de sociétés et fournit des conseils stratégiques par l’intermédiaire de Strategy Corp Inc. où il agit à titre de conseiller principal en affaires depuis mars 2023. Sa longue et brillante carrière comprend des activités dans les domaines de la politique, de l’enseignement universitaire et de la médecine.

L’auteur a publié un autre texte sur le même sujet, disponible sur le site de Strategy Corp Inc. (voir la liste de référence en fin de document).

Pour citer ce document :

Couillard, Philippe. (2025). Le libre échange canadien : une perspective québécoise. Institut de recherche en politiques publiques.


Les opinions exprimées dans cet essai sont celles de l’auteure et ne reflètent pas nécessairement celles de l’IRPP ou de son conseil d’administration.Si vous désirez obtenir de plus amples renseignements sur nos publications, veuillez nous contacter à l’adresse irpp@irpp.org. Pour recevoir l’infolettre mensuelle de l’IRPP par courriel, vous pouvez vous abonner directement sur le site Web à www.irpp.org/fr

llustrateur : Luc Melanson

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