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Les bulletins du Centre

La loi 21 et la clause dérogatoire : Quel consensus?

Charles Breton
par Charles Breton 29 mai 2024

La Cour suprême se penchera sous peu sur l’interdiction des signes religieux chez les employés de l’État. Bien que plusieurs Québécois soient en accord avec le gouvernement caquiste sur la loi 21 et l’utilisation de la clause dérogatoire, la population demeure largement divisée et reste loin du consensus.

Après la décision de la cour d’appel du Québec qui a confirmé le 29 février  2024 dernier la validité de la Loi sur la laïcité de l’État (loi 21), ce sera maintenant au tour de la Cour suprême de trancher. La plus haute cour du pays devra sans doute se pencher également sur l’utilisation par le gouvernement québécois de la clause dérogatoire de la Charte canadienne afin de protéger les dispositions de la loi 21 qui pourraient y contrevenir.

Le gouvernement Legault avait salué la décision de la Cour d’appel qui lui donnait raison en soulevant deux éléments importants à ses yeux. D’abord, que cette décision venait « confirmer le droit du Québec de prendre ses propres décisions1 » en utilisant la clause dérogatoire et ensuite qu’il y avait consensus au Québec sur la loi 21 puisqu’il y avait « une majorité de Québécois qui sont d’accord avec la loi 212 ».

Comme le gouvernement Legault semble s’appuyer en grande partie sur l’opinion publique pour justifier ses positions, ce bulletin fait un tour d’horizon de l’opinion publique québécoise en s’appuyant sur deux séries de sondages à grande échelle3. Un tel exercice est essentiel afin d’identifier si consensus il y a autour des questions entourant la loi 21.

L’opinion publique sur le principe de laïcité et l’application de la loi 21

Commençons par le principe derrière la loi 21. Les sondages de la Confédération de demain demandent aux répondants de choisir entre deux approches quant à la neutralité de l’État face à la place de la religion dans l’espace publique. Celle qui se rapproche le plus du principe derrière la loi 21, soit l’approche selon laquelle la neutralité s’exerce par l’interdiction des signes religieux, obtient l’appui d’une courte majorité de Québécois (51 %). Cette proportion est plutôt stable pour les trois années pour lesquelles nous avons des données.

Ceci dit, cette question sur le principe de la laïcité est complexe et plusieurs répondants peuvent s’y perdre un peu : il y a tout de même environ 20 % des répondants en 2023 et en 2024 qui n’ont choisi aucune des deux options qui leur était offertes.

Qui plus est, entre un principe théorique et un principe en application dans la réalité, les opinions peuvent changer.

Là où le bât blesse : Les signes religieux en pratique

C’est ici que les sondages de Vox Pop Labs sont intéressants. Plutôt que de simplement nommer les signes religieux ou de poser une question sur l’appui à la loi 21, ils montrent aux répondants des images représentant des signes religieux spécifiques. Les participants doivent ensuite choisir dans quelles circonstances ces signes devraient être interdits. Les scénarios proposés s’ancrent dans les discussions entourant l’interdiction des signes religieux (en public, en position d’autorité, etc.).

Pour simplifier l’analyse, nous nous concentrons ici sur un seul signe religieux, le hijab, autour duquel a porté l’essentiel du débat, et sur deux scénarios qui touchent à la loi québécoise : les représentants de l’État en position d’autorité (ex : juges, policiers) et les enseignantes d’écoles publiques.

Les résultats présentés à la figure 3 montrent l’intérêt de mesurer l’appui à l’interdiction de signes religieux précis et pas seulement l’appui aux principes plus théoriques.

D’abord, il y a clairement un consensus au Québec sur la proposition qu’il est convenu d’appeler la recommandation Bouchard-Taylor, soit l’interdiction des signes religieux pour les employés de l’État en position d’autorité et qui représentent la force coercitive de l’État tels que les juges, policiers et gardiens de prisons. L’interdiction du hijab pour ces employés de l’État est appuyée dans une proportion plus grande que ne l’était le principe plus général de laïcité qui sous-tend la loi 21. Cette proportion, bien que toujours majoritaire, a varié dans le temps. D’un sommet de 72 % lors de l’adoption de la loi, elle était de 57 % en 2022.

La loi 21 va cependant plus loin que la proposition Bouchard-Taylor et étend l’interdiction des signes religieux aux enseignantes et enseignants d’école publique.

Clairement, il est difficile de voir les résultats présentés dans le deuxième panneau de la figure 3 comme faisant état d’un large consensus. C’est plutôt une question qui semble diviser la population québécoise. Une courte majorité de 54 % souhaitait voir le hijab interdit pour les enseignantes des écoles publique en 2019, mais c’est la seule des quatre années pour laquelle cette option rallie une majorité. Pour 2022, l’année la plus récente, ce n’est que 44 % qui appuie une telle interdiction. Notons que l’adoption de la loi 21 en juin 2019 ne semble pas avoir augmenté ni même stabilisé l’appui dans la population.

Nous ne présentons pas ces résultats ici, mais l’appui à l’interdiction d’autres signes religieux, tels que le turban ou les pendentifs arborant l’étoile de David ou un crucifix, est sensiblement le même que pour le hijab.

La Cour, le Parlement et la Charte

Consensus ou pas, la Cour suprême devra trancher sur la légalité de la loi 21. Cela dit, peu importe la décision, le gouvernement québécois pourra tout de même utiliser la clause dérogatoire pour maintenir la loi en place. Cela soulève une question centrale à notre régime politique : qui devrait avoir le dernier mot, les juges ou les élus ?

Qui doit trancher ?

D’abord, il importe de souligner que la question du sondage sur la Confédération de demain présentée ici ne porte pas spécifiquement sur la loi 21, mais bien sur une hypothétique loi qui contreviendrait à la Charte (ce qui est le cas pour la loi 21). Il ne s’agit pas d’une question simple et ce n’est donc pas surprenant que presque un tiers des répondants disent ne pas savoir quoi répondre.

Cela dit, c’est un peu plus de la majorité des Québécois sondés qui croit que la Cour suprême devrait avoir le dernier mot.

Après une légère fluctuation en 2023, les réponses sont de retour à des proportions similaires à ce qui avait été observé en 2020 et 2022.

Bon an mal an, l’opinion est donc stable : environ la moitié des Québécois croit que la validité d’une loi devrait être décidée devant les tribunaux, alors qu’autour du quart pense comme le premier ministre Legault que l’Assemblée nationale doit avoir le dernier mot.

L’utilisation de la clause dérogatoire

On l’a dit plus haut, le gouvernement québécois a utilisé la clause dérogatoire pour protéger la loi 21 des tribunaux. La Cour d’appel du Québec mentionne d’ailleurs dans son jugement que le débat est clos sur ce sujet puisque la clause existe et que « [c]e n’est pas aux tribunaux de colmater les failles, s’il en est, d’un choix constitutionnel (ou législatif) que d’aucuns estiment malavisé4. »

La Cour suprême pourrait tout de même être tentée de se pencher sur cet aspect puisque le gouvernement du Québec n’est pas le seul à avoir utilisé la clause dérogatoire de façon préventive récemment, la Saskatchewan l’a fait en octobre 2023, et des voix se sont élevées pour critiquer cette atteinte aux droits individuels.

Mais pour les Québécois, s’agit-il d’un outil législatif auquel le gouvernement devrait pouvoir faire appel ?

Les Québécois sont divisés sur la question, mais seulement 30 % d’entre eux croient présentement que le gouvernement devrait pouvoir utiliser la clause dérogatoire pour contourner la Charte. En revanche, 42 % des Québécois croient que le gouvernement ne devrait pas avoir ce pouvoir. Cette proportion est même à un sommet en quatre ans. Plus du quart des Québécois (28 %) sont quant à eux indécis.

C’est donc dire que depuis les quatre dernières années, ceux qui appuient le recours à la clause dérogatoire, ceux qui s’y opposent et ceux qui sont indécis se divisent donc en trois groupes à peu près égaux, mais que la proportion de Québécois désapprouvant l’utilisation de la clause dérogatoire a fait un bond de huit points en un an, tandis que celle l’appuyant a baissé de six points.

À qui appartient le dernier mot ? Les tribunaux ou le Parlement ? Nous avons vu plus haut que la population québécoise est divisée sur la question. Et nous voyons maintenant qu’elle l’est aussi sur l’usage de la clause dérogatoire. Nous sommes encore une fois loin du consensus.

Un sujet loin d’être clos

Au-delà du processus judiciaire actuel et du cheminement de la loi 21 à travers les différentes cours de justice, cette loi demeure en quelque sorte l’aboutissement législatif d’un peu plus d’une décennie de discussions sur les questions entourant les signes religieux, les accommodements raisonnables au nom de la liberté de religion et plus généralement la laïcité de l’État québécois et le rôle de la religion dans l’espace public au Québec. Certains pourraient donc conclure que la question a été vidée, que les débats ont eu lieu et sont clos.

Mais comme le montrent les différents sondages, aboutissement législatif ne signifie toutefois pas accord de la majorité, consensus ou encore moins opinions figées sur ces questions fondamentales.

N’en déplaise au premier ministre, force est d’admettre que la population québécoise est plutôt largement divisée sur divers sujets comme les principes de la laïcité, le dernier mot sur la validité des lois, et surtout sur l’interdiction des signes religieux chez les enseignantes et sur l’utilisation de la clause dérogatoire.

Sur des enjeux aussi fondamentaux pour la démocratie et le vivre-ensemble, il est donc essentiel que la discussion continue et que nous n’y mettions pas fin sous prétexte que le débat aurait déjà eu lieu.

1 H. Ouellette-Vézina, 2024. « “Une belle victoire pour la nation québécoise”, dit Legault », La Presse.

2 V. Larin, 2024. « Un “manque de respect” du gouvernement Trudeau, réitère François Legault », La Presse.

3 Voir les descriptions méthodologiques présentées plus bas.

4 M. Savard, Y.-M. Morissette et M.-F. Birch, 2024. « Constitutionnalité de la Loi sur la laïcité de l’État », paragraphe 411, Cour d’appel du Québec.

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