Le fédéralisme et la crise en santé
Depuis la pandémie de COVID-19, l’état des soins de santé au Canada est encore plus au cœur des relations fédérales-provinciales qu’auparavant. Pour répondre aux préoccupations croissantes concernant le manque de ressources dans les provinces, un nouvel accord fédéral-provincial sur les transferts en matière de soins de santé a été conclu à l’hiver 2023. Pourtant, même avec ce financement supplémentaire et alors que des provinces comme le Québec et l’Alberta vont de l’avant avec d’importantes réformes, la perception des citoyens face aux systèmes de soins de santé à travers le pays se détériore.
Les deux dernières éditions du Sondage annuel sur la Confédération de demain ont évalué l’opinion sur les systèmes de santé provinciaux en demandant aux répondants de choisir entre trois descriptions du système de soins de santé de leur province. Les options étaient les suivantes 1) En général, le système fonctionne assez bien, et n’exigerait que de petits changements ; 2) Il y a de bonnes choses dans notre système de soins de santé, mais des changements fondamentaux sont nécessaires ; et 3) Notre système de soins santé va si mal que nous devrions le repenser dans son intégralité.
La première fois que cette question a été posée, en 1988, seuls 5 % des répondants ont choisi la dernière option et 56 % pensaient que leur système provincial fonctionnait bien. En 2023, 25 % des Canadiens considéraient que leur système de santé provincial était en crise et seulement 15 % pensait qu’il fonctionnait bien. Et en 2024, ce sont désormais 30% des répondants qui estiment que leur système de santé est en crise, soit une augmentation de 5 points en un an, bien loin des 5 % de 1988.
Comme le montre la figure 1, depuis 2016, la perception que le système de santé fonctionne bien a régulièrement diminué, tandis que la perception d’une crise a régulièrement augmenté. Cependant, à 51 %, l’option la plus populaire reste la deuxième, ce qui indiquerait que certains changements fondamentaux sont nécessaires.
Variation d’une province à l’autre
L’évaluation de la performance des systèmes de soins de santé s’est détériorée dans toutes les provinces, sauf dans les provinces de l’Atlantique. Dans ces quatre provinces, la proportion de répondants ayant déclaré que leur système était en crise a diminué de 3 points de pourcentage entre 2023 et 2024. Pourtant, même avec ce changement, le Canada atlantique a toujours le pourcentage le plus élevé de résidents qui pensent que leur système de soins de santé est en crise, suivi de près par le Québec. Ces provinces ont également en commun des populations plus âgées et un PIB par habitant plus faible.
Néanmoins, la dégradation de l’opinion sur les soins de santé est évidente dans toutes les provinces. Par exemple, en Alberta, où la population est l’une des plus jeunes du pays, la proportion de répondants estimant que le système de santé de la province est en crise est passée de 22 % en 2023 à 27 % en 2024.
La confiance dans le système de santé
Ces tendances reflètent une baisse de la perception de l’accessibilité des soins. Selon une étude récente publiée dans Canadian Public Administration, il s’agit de loin de l’indicateur le plus important de l’évaluation de la performance des soins de santé1.
Le sondage de 2023 sur la Confédération de demain posait la question suivante : « Si vous ou un membre de votre famille tombiez malade et deviez consulter un médecin, dans quelle mesure avez-vous confiance en votre capacité de vous faire traiter dans un délai raisonnable ? » Les quatre réponses possibles allaient de « très confiance » à « pas du tout confiance ». La figure 3 combine les pourcentages des réponses « très confiance » et « assez confiance » et les compare aux réponses « peu confiance » et « pas du tout confiance ». Les résultats de 2024 à la même question montrent la baisse de la perception de l’accessibilité des soins : en 2023, 40 % des répondants n’avaient « pas du tout confiance » et en 2024, cette proportion est passée à 47 %.
Les variations de la proportion de répondants qui manquent de confiance dans l’accessibilité des soins reflètent la crise perçue dans les provinces. La confiance a diminué d’au moins quatre points dans toutes les provinces, à l’exception de la région de l’Atlantique. Le changement le plus important entre 2023 et 2024 est une diminution de 14 points au Manitoba.
À qui la faute ?
Lorsqu’on a demandé aux répondants qui, selon eux, était responsable des problèmes dans les soins de santé, les réponses sont restées les mêmes entre 2023 et 2024. La proportion de ceux qui pensent que la gestion au niveau provincial est à blâmer est restée stable à environ 42 %. En revanche, 42 % des personnes interrogées attribuent la faute à l’insuffisance des fonds alloués par le gouvernement fédéral.
Cette relative stabilité dans l’attribution de la responsabilité des problèmes en santé s’observe à un moment où les négociations entre les gouvernements fédéral et provinciaux-territoriaux faisaient les manchettes, avec en point d’orgue les accords de transferts en santé de 2023. Autrement dit, bien que le gouvernement fédéral ait augmenté ses investissements, le financement supplémentaire n’a pas eu d’impact sur le gouvernement que les Canadiens tenaient pour responsable. Il est intéressant de noter que les Canadiens qui estimaient que le système était en crise étaient plus enclins à blâmer la mauvaise gestion des provinces que le financement fédéral, et à souhaiter que le gouvernement fédéral demande aux gouvernements provinciaux de rendre des comptes2.
Financement et normes nationales
L’accord fédéral-provincial-territorial de 2023 peut être considéré comme une réponse à la perception de crise des soins de santé, aux demandes d’action gouvernementale du public qui en découlent et aux causes apparentes de la crise. Le gouvernement fédéral a souligné l’importance des normes nationales et les accords bilatéraux contenant l’essentiel du financement supplémentaire sont régis par une logique de conditionnalité. Toutefois, le soutien à l’imposition de normes nationales a également diminué, passant de 36 % en 2022 à 32 % en 2024. En fait, la proportion de personnes estimant que les provinces devraient décider comment dépenser les fonds provenant des transferts est passée de 45 % à 52 %.
À titre de comparaison, la figure 6 présente le soutien aux normes nationales en matière de garde d’enfants entre 2022 et 2024. Fait intéressant, le soutien aux normes nationales n’a pas augmenté à la lumière de la mise en œuvre du programme fédéral de garde d’enfants à l’extérieur du Québec, qui est financé par un transfert conditionnel pour le développement de services. Si les citoyens devaient changer d’avis sur la question des normes nationales, ce serait logiquement lorsque le gouvernement fédéral réussit à créer un programme social populaire, mais cela n’a été le cas ni pour les services de garde d’enfants ni pour les soins de santé.
Les données récentes du sondage sur la Confédération de demain suggèrent qu’en dépit des accords fédéraux-provinciaux-territoriaux sur les soins de santé et la garde d’enfants reposant sur des transferts plus généreux mais conditionnels, le gouvernement fédéral n’a pas été en mesure de convaincre les provinces, et à plus forte raison la population, de la pertinence d’une approche nationale fondée sur des normes.
Il est peut-être temps de réévaluer l’idée selon laquelle l’élargissement des politiques sociales doit nécessairement être mis en œuvre par le biais de normes nationales et de conditions fixées par Ottawa. Mais il est également important de souligner que les citoyens sont de plus en plus nombreux à penser que leur système de soins de santé est en crise et qu’une majorité d’entre eux en attribue la responsabilité à la gestion provinciale. En bref, les gouvernements fédéral et provinciaux ont du pain sur la planche.
1 O. Jacques, M. Perrot, 2024. « Who’s to blame for the crisis of the healthcare system? », Canadian Public Administration, vol. 67, no 2, p. 1-17.
2 O. Jacques et M. Perrot, 2024.